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La chronique de Kamel DAOUD

Théorie de la carte-postale


26 Mai 2014 | 11:33
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Etrange le vintage algérien : il est colonial et «politique». C’est un peu la mode dans les ruelles de certaines villes : vendre des cartes-postales en noir et blanc, racontant le quartier avant l’Indépendance, les vieilles places, les anciens paysages avant l’urbanisation. L’Algérie avant le Plan de Constantine ou au premier siècle de la colonisation. Faute d’histoire acceptée, on se réfugie presque dans la mémoire. C’est d’ailleurs la tendance dans la planète internet : chercher et trouver de très vieilles photos de la ville ou du village et rester songeur sur la vie d’avant la vie. Pas parce qu’on regrette la colonisation et ses fausses œuvres positives, mais parce que l’âme algérienne veut un peu se promener dans le passé, retrouver l’étymologie de la pierre et le sens ancien des noms. C’est une sorte de voyage dissident hors des voyages organisés par la mémoire officielle, l’ALN-FLN et la commémoration. C’est un peu la quête de la mélodie en marge du tintamarre de l’hymne. Les Algériens cherchent à combler cette mémoire que l’on a voulu enfermée dans le politique et qu’ils libèrent par l’appréciation ou de la nostalgie. Ils veulent de l’esthétique, de l’émotion, du songe.

Mais le vintage algérien a aussi une autre tendance. Dans les mêmes ruelles, chez les même revendeurs : les photos vieilles et agrandies de l’époque de Boumediene par exemple. Le portrait de l’homme sobre, l’unique photo de ce président assis avec sa mère paysanne, ses yeux de braise et de tueur fascinent encore. On s’offre le Président que l’on peut et là où on n’arrive pas à élire, on arrive à se souvenir. L’urne ne peut pas entrer dans la tête, en somme. C’est le vintage politique : si on a élu un président avec une photo vieille de quinze ans, pourquoi ne pas acheter celle d’un président mort il y a plus de trente ans ?

Pourquoi parler ce vintage ? Parce que c’est le signe d’une mémoire qui se construit hors du souvenir collectif officiel. On a sur politisé l’histoire, on y répond donc par le romantisme simpliste du kitsch et de l’idole. On n’a pas de Bollywood algérien. Pas de héros sauf la mort. Pas de souvenir sauf en armes. Pas de mélodie. Alors on cultive cette tendance douceâtre des vieilles cartes-postales. De l’époque où l’on n’était pas né, ou à peine. On veut retrouver du souvenir. Regarder les ancêtres dans leur quotidienneté. Les commenter. «Etrange», confia une amie à l’auteur de ces lignes : «dans les vielles photos d’il y a un siècle, les Algériens sont toujours photographiés assis, désœuvrés, immobiles, oisifs». De quoi conclure à notre paresse naturelle même avant le pétrole ? «Non. Juste que les colons voulaient justifier, à leur propre yeux, la théorie de l’œuvre civilisatrice et de la terre vierge», répondra un ancien chef de gouvernement à l’auteur, lors d’une soirée. La carte-postale est une théorie. « Théorie de la carte postale » est d’ailleurs un beau livre d’un ami français, Sebastien Lapaque à Actes Sud.

Les cartes-postales algériennes disparaissent en effet, deviennent rares ou laides. Victimes du numérique et de l’esthétique des logements sociaux et du parpaing, elles ne sont plus le lien entre des êtres éloignés mais une relation entre soi et le songe.



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