Acueil Commentaire Comment on tue aussi « le Palestinien »


La chronique de

Kamel Daoud

Comment on tue aussi « le Palestinien »


  Kamel Daoud     kameldaouddz@yahoo.fr

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De quoi parler aujourd’hui ? Non : de qui parler aujourd’hui ? De lui. Le palestinien. Le mort, le presque, le mort à venir. En gros. Car cet homme est cerné de toute part. Il n’y a que Mahmoud Darwih  qui a pu bien en dessiner le contour sans terre et la frontière sans verrou. D’un coté l’armée Israélienne. La droite, le sionisme. La complicité internationale. Elle le tue parce qu’elle ne le voit pas. Ne veut pas le voir derrière la bombe mais derrière le Hamas. Ensuite, de dos : ceux qui lui disent « la guerre est charges est reculs ». El harb Karroune wa farr. « Thoumma farrou ». Puis, ils ont fuit, a écrit Darwish. Puis les autres « Frères », assis, dans le dos, sur le dos. Ailleurs, de loin. Car le Palestinien doit bien exister mais on ne le voit pas. Il a des images de chair dévastée par la bombe, mais on ne voit que soi-même quand on le regarde. C’est une « cause », un affect, un symbole. Etrange : il est cerné. En face Israël, dans le dos le Hamas, à droite les « printemps arabes » en mode échec, à gauche, l’armée islamique d’Irak, de Syrie, du Sahel, du désert, et de tout les trous dans la carte « arabe » et les sectes de Djihadistes. Quand il meurt, c’est lui qui meurt. Mais s’il gagne, tous vont crier que nous avons gagné. Rions. 

 

Il est aussi une croyance, le Palestinien, une impuissance. Longue discussion avec un ami : pourquoi les chroniques sur la « solidarité » assise écrite par le chroniqueur ont provoqué tant de virulence, d’insultes et de malentendus entre les mots et ceux qui ne le sont même pas lu ? Parce que c’est une cause de l’affect, de la sensibilité, du conditionnement et de l’humanité. Vrai. Mais aussi un lieu de l’impuissance. Et quand on décrit cette impuissance et qu’on veut en désigner la cause, la « Cause » réagit avec agressivité. Elle ne veut pas voir. Regarder. Il y a déni, puis jet de pierres. Face à la télé, le spectateur n’aime pas être face à la vérité mais face à l’émotion. Il ne veut pas. Celui qui lui rappelle le lieu de l’impuissance finit par être la cible de la colère. Et cette colère, comme tout autre, rend aveugle : on ne lit pas le texte incriminé, on juge, on parle d’auteur qui veut des « prix », de trahisons du clerc, on n’écoute pas, on doute, on soupçon et très vite on condamne. Le Lieu de l’impuissance ne peut pas être décrit ou analysé. Cette impuissance on ne veut pas l’admettre mais justement l’oublier par l’émotion.

 

En 2009, le chroniqueur avait écrit un texte sous le titre « une fatwa laïque ». Pour la Palestine. Sujet : l’effet papillon entre l’acte et le massacre. Extrait : « On peut aussi répondre autrement et plus utilement, selon l’équation de « un battement d’aile de papillon au Japon fait son orage au Zimbabwe ». Cela veut dire que si nous sommes, aujourd’hui, si impuissants, c’est parce que nous sommes irresponsables chacun à la hauteur de sa personne. Nos régimes sont faibles et en solde, parce que nous sommes faibles et en solde. Chacun à sa manière. Il y a un lien direct mais peu admis entre la vie de chacun et les cadavres de Gaza : chaque fois que l’un de nous jette des ordures par les fenêtres, achète un extrait de naissance à 200 Da, accepte d’aller voter pour rien comme un mouton, croit que construire une mosquée suffit pour construire un pays et admet que prier vaut mieux que travailler, il participe à sa manière à déchausser son propre pays et à le transformer en laine internationale. Chaque fois que l’un des nôtres réduit son emploi à sa présence physique, vole son propre salaire, grille un stop, achète un paquet de cigarette et jamais un livre, scie un arbre, traficote un appel d’offres, triche dans le ciment et le béton, exige une enveloppe ou dévalise un conteneur parce que son poste le lui permet, il tue à sa manière des Palestiniens.

 A chaque fois que l’un des nôtres crache sur sa propre géographie à cause de sa propre histoire, achète son élection dans une mairie ou dans un parlement, casse une vitre dans un palier d’immeuble, va à la Mecque pour se laver les mains de ses actes, ment, triche ou ferme sa porte en croyant que cela suspend sa responsabilité, il tue en Palestine et dans le reste du monde. A chaque fois que l’un des nôtres se cache derrière son Coran pour échapper au poids du monde, utilise un verset comme un casque pour ne pas écouter les autres et le reste de l’humanité, et répète que nous sommes honnis à cause d’un rouge à lèvres et que nous manquons de pluies à cause des femmes trop belles, il tue en Palestine. A chaque fois que l’un de nous refuse la liberté de conscience à son voisin, la liberté tout court, il ne peut la demander pour la Palestine. ». Rien n’a changé depuis. Sauf le nombre des morts. Toujours palestiniens. Cette responsabilité morale a été toujours le centre de réflexion du chroniqueur. Son obsession. Sa quête de l’efficacité. Son lieu d’abime.

 

Le chroniqueur a toujours su pourquoi le Palestinien est mort. Mais il s’est toujours étonné de constater que lui et les siens le sont aussi. Souvent et ne veulent pas le savoir ni y penser. Et il a voulu comprendre.

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