Acueil Commentaire Passion Palestine, vices et vertus


La chronique de

Kamel Daoud

Passion Palestine, vices et vertus


  Kamel Daoud     kameldaouddz@yahoo.fr

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Séisme angoissant à Alger. Un internaute écrit qu’il a vu les femmes et les enfants dehors. Affolement. Bris de glace, dit-il, dans les maisons, et d’effroi dans les yeux. Une pensée, écrivit-il, pour les familles, nues et sans toits, à Gaza. Car la guerre contre Gaza occupe les esprits, émeut, touche, soulève et provoque les passions. Pourquoi existe-il une « passion Palestine ? ». A cause de la religion, du mythe de la trahison juive à l’époque de Médine, selon la mythologie sacrée. A cause du différent israélo-panarabe dans la mémoire séculaire. A cause de la colonisation et de l’injustice. C’est cela, mais en mode décroissant. Le concept de décolonisation/colonisation est floue, à peine « passionnant » et peu évoqué dans l’espace public, sauf officiellement. Le deux autres arguments sont les plus puissants. Il en nait une passion Palestine qui à la fois soulève la solidarité et la décrédibilise au yeux des autres comme le répète le chroniqueur. Se battre pour la liberté de la Palestine au nom du religieux ou de l’ethnie ou de l’arabité, en dédouane le reste du monde. A lire aussi (si on veut comprendre et pas seulement hurler) les arguments des propagandistes de l’autre bord : si la solidarité avec la Palestine est aussi puissante chez les « arabes » et aussi faible envers les syriens, irakiens, chrétiens d’orient ou rescapés du Darfour, c’est qu’elle est de mauvaise foi « et en veut au juif, pas au colonisateur ». cet argument, l’adversaire ne use et abuse.

 

Pour les crimes à Gaza, on brandit donc les photos des meurtres, des corps et des cris. On hurle et on s’accuse. Echourouk , un journal algérien, parle de « juifs », pas d’Israéliens et joue avec confort sur le référent religieux. Sur le net, deux courants : ceux qui dénoncent le crime et ceux qui optent pour ressembler au monstre qui tue et avec les mêmes haines. Icône d’Hitler et ses néo-Hadiths, rage et vengeances ou appel à l’action. Passion donc. D’où la question : pourquoi ? A cause du crime. De l’injustice. Du différent religieux. De l’ethnie ou de la race ou du rêve « arabe ». Mais aussi, pour une autre raison. Celles là même qui provoque tant de violence : ceux qui ne font rien pour la Palestine et qui ne peuvent pas se l’avouer, sont les premiers à insulter les autres qui sont comme eux : qui ne font rien et ne le peuvent pas. Toucher à cet affect vous expose à la violence verbale et à des insultes ou des agressions. Ou, au mieux, à une vilaine stigmatisation. Accentué si vous êtes dans la parole publique ou si vous tentez d’exposer une manière différente de voir, d’aider, d’être solidaire ou de soutenir la justice, la terre et le droit.

 

D’où la question encore : pourquoi le thème Palestine soulève la passion chez-nous et vous expose toujours à la violence des vôtres si vous en tentez la réflexion ? A cause de l’effet miroir comme l’a défini un ami. La Palestine est le miroir de nos impuissances. On n’y peut presque rien, on y culpabilise énormément et on y est coincé entre conditionnements, idéologies, propagandes, désir de justice et inaction. Le reflet est insoutenable alors on résout la « confrontation » avec de la violence envers les siens différents, de l’agressivité ou de l’affect et de l’émotion. C’est le lieu de la colère contre soi et les siens. Cela se traduit par une passion qui n’accepte pas l’analyse, la remise en question des modes ou la pensée sur les moyens et les voies. Toute personne qui n’est pas dans la passion mais dans la réflexion sur les moyens ou le désir de justice est traitresse. Elle « ne comprend pas », trahis, se vend ou se corrompt selon cet angle. Toute autre réflexion est « collaboration avec l’ennemi ». Cette passion rend aveugle sur les autres drames du monde et de la région, même sous les yeux, et rend aveugle sur le drame lui-même, les moyens de le résoudre, d’y aider l’humain et de penser à long terme. La passion « Palestine » est une passion puissante mais brève. Courte et profonde. Pouvant être noble, mais souvent servant à l’auto-fiction. Utile comme moteur, et désastreuse comme fin en soi. Elle restaure la compassion mais en détruit le sens par la sélection et le cloisonnement. C’est un miroir terrible de nos échecs et, face au reflet, on y réagit par des attitudes : passions verbales, déni, exil, indifférence ou hallali. On n’y écoute pas l’autre mais on s’y écoute crier et se révolter.

 

C’est cet effet miroir qui explique, en partie, la passion et la colère et l’agressivité ou la culpabilité. Souvent mal assumés car projetés sur l’autre : le « régime », le différent, l’Occidental, le médias « collaborateur », le lobby ou le complot mondial. On se débarrasse de sa responsabilité partielle par la dénonciation de l’autre, de son crime ou de sa traitrise. On se refuse à l’évidence. Parler de la Palestine est aujourd’hui parler du crime de guerre qui s’y déroule mais aussi des autres Palestine(s), surtout : la Palestine émotionnelle de « l’arabe » impuissant post printemps ou post-Nekba, la Palestine du Djihadiste/islamiste, celle du « tueur du juif », né des écoles et des propagandes racistes, la Palestine de l’hymne assis et de la minute de silence ou la Palestine « mode banlieue » du manifestant anti-souche en France et qui y dénonce, obscurément la guerre mais avec Saguerre à lui dans les marges de la république où il est mal né. Sans parler de la Palestine « intellectuelle », de gauche, de la nostalgie 70, des « régimes », de l’ONU ou des extrémistes israéliens qui la réduisent à un placard à squelettes.

 

Passion donc. De part et d’autres. Pour des raisons de foi, de mauvaise foi ou d’indignation, de récupération ou de facilité ou de solidarité réelle. C’est le lieu « aveugle » de nos aveuglements aussi. Comment s’en sortir ? D’abord en commençant par accepter le constat d’erreur et d’échec et de sinistre du sens racial et religieux de nos engagements. En Commençant par comprendre que l’indépendance d’un pays, come ‘la dit un collègue, se prépare et se construit. Par chacun. Nos sous développements sont à la source de nos humiliations. Règle d’or.