Acueil Commentaire Le mouvement « J’aime la dictature »


La chronique de

Kamel Daoud

Le mouvement « J’aime la dictature »


  Kamel Daoud     kameldaouddz@yahoo.fr

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Une nouvelle mode : dire, écrire, penser ou affirmer que les dictateurs « arabes » étaient bons. Par réaction au présent mauvais, aux guerres, instabilités, Armées islamiques et élections sans issue. D’un coup, par rétro éclairage on fait du rétropédalage : on soutien que l’époque des grands dictateurs était douce, sécurisée, nourrie, logée et sans soucis. La nostalgie de l’Ordre gomme les imperfections du portrait du Dictateur et il en redevient un « bon père du peuple ». On lui sourit dans la mémoire, on soupire et on analyse. Les raisons ? La peur. En haut de la liste. L’insécurité. Le sans issu immédiat des soulèvements et des rebellions. Les djihadistes et l’équation jamais résolue entre : soi la dictature, soi le Califat. Entre dix autres raisons bien sur.

 Le mouvement « j’aime la dictature » a figure d’un culte pour Saddam, vendu et embaumé comme martyr arabe. On a oublié ses gazages, ses guerres chimiques contre les siens, ses massacres, ses fils, ses assassinats et ses folies. On ne retient que son manteau du dernier jour et sa façon obtuse, que l’on préfère voir comme digne, d’accueillir la pendaison comme s’il coupait le ruban d’une nouvelle usine construite par des Russes. D’un coup, la machine à nostalgie, invention millénaire de l’esprit « arabe », le qualifie de martyr et présente son époque comme une époque juste. Vrai ? Non. Juste un effet d’optique. C’est parce que les monstres de Daech sont pires que Saddam est rappelé come meilleur. Mais la vérité est triste : on n’est pas des peuples heureux ni respecté. Du temps de Saddam ou du temps de Daech. Saddam a été la cause du déclin et de la ruine de son pays. C’st le grand-père de Daech, à sa manière.

Kadhafi ? Il faut cesser de se moquer de la Raison. Cet homme était fou, loufoque, ridicule, monstrueux et catastrophique pour son pays. Ses 42 ans de règne sont la cause de ce qui se passe en Lybie : un peuple sans élite, sans culture du politique, tribalisé jusqu’au comique. Ce monstre à turban a fabriqué les monstres qui l’ont lynché et qui lui survivent en se mangeant. C’est lui qui a offert, par sa cupidité, la Lybie à la prédation internationale. C’est son esprit malade de déni qui a toujours rejeté réformes, élections, constitutions, syndicats ou pluralisme qui est la source du malheur. Ce fou l’était tellement qu’il a même refusé que son pays ait une Armée par peur d’être renversé. C’est dire sa légitmité. Et quand un « père du peuple » en arrive à cette méfiance malade, c’est qu’il ne pouvait ni durer, ni vieillir en douceur au pouvoir. Aujourd’hui le courant « Dictateur mon amour, » parle de Khadafistes à l’affut d’une reprise de pouvoir sous la formule de « nous sommes la solution, la seule possible ».

Le boucher de Damas ? Bien sur. Il a été parmi les plus rusé : il a « Djihadisé » à l’extrême la rébellion, la massacré et la poussé à la délinquance : aujourd’hui l’armée syrienne libre n’existe presque plus et Bachar est presque vu comme le sauveur face aux islamistes, « la solution à l’algérienne ». Le courant « dictateur mon amour » vous parle alors de la Syrie d’autrefois, de ses marchés, portiques et églises millénaires. Vrai ? On oublie indécemment les massacres, les Moukhabarates, les guerres et les décimations entières. Le règne de la Mère, le frère et la tante. Oui, la Syrie était belle, au-dessus des geôles et des tortionnaires. 

Benali l’ex-tunisien? Bien sur. Vous en trouverez aujourd’hui des gens, hors de la Tunisie et même dans son ventre, qui en caresse le sourire béat et presque idiot, comme un bouddha de la « Sécurité ». Et ainsi de suite, comme ailleurs.

Par aveuglement, mort d’âme, faiblesse ou facilité, on voudrait aujourd’hui vendre la dictature comme une solution d’avenir, une image heureuse du passé. On dissocie nos malheurs présents de ces « Pères du peuple » qui en furent l’origine. On oublie que les soulèvements n’ont pas eu lieu dans des pays heureux mais dans des pays malheureux, spoliés, voles, tués et pourchassés. On oublie que le malheur présent a pour raison les dérives passées et les injustices et les tortures. Les « arabes » sont un peuple puissamment sensible à la nostalgie : son souvenir du bonheur lui tort le cou et son présent est un démentit.

La dictature n’est pas une solution. On voudrait nous vendre cette équation malsaine. On voudrait faire oublier avec une légèreté scandaleuse, que les raisons de nos présents sont surtout les effets des dictatures. Ce sont les dictatures et les régimes qui ont affaibli les pays, qui ont attiré les prédations internationales, qui ont détruit les élites seules capables d’assurer les transitions, qui ont enfanté les islamistes dans le dos des progressistes pour mieux les arnaquer. Se faire aujourd’hui le porte-voix de ces nostalgies faciles est une lâcheté et une traitrise : les dictatures mènent tôt ou tard aux soulèvements et les soulèvements sans élites, ni écoles, ni Raison, ni aides, mènent aux moyen-âge et à Daech et autres islamiseries.

Eviter, par naïveté ou par mauvaise foi, de penser la dictature comme source de nos malheurs présents est la preuve que nous fonctionnons encore par le pathos et l’affect. Cela veut dire que l’on tourne en rond et que la « Solution », la vrai, n’est pas encore pensée, réfléchie ou imaginée.

On réagit encore par le meurtre, la culpabilité ou l’errance yeux crevés.