Acueil Commentaire L’ANP en Lybie : les raisons du « Oui », les arguments du « non »


La chronique de

Kamel Daoud

L’ANP en Lybie : les raisons du « Oui », les arguments du « non »


  Kamel Daoud     kameldaouddz@yahoo.fr

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Faut-il aller faire la guerre en Libye ? En gros, deux écoles : celle du « non » ferme et celle du « oui » conditionné. Pour la première, il s’agit de notre cas d’école : l’armée algérienne est une armée de « Défense », et de Libération. Basée sur l’idéologique de la souveraineté et de la liberté et pas sur la théorie de la conquête et de la domination. Le pays est né d’une guerre contre un envahisseur, pas d’une terre conquise par la force ou l’aura. Si l’Algérie va en Libye, cela sera contre ses « principes », son essence même, sa mystique. La position serait intenable car elle va à l’encontre des cultures de base du plus simple soldat algérien. Un engagement frontal et physique dans ce pays voisin serait l’expression de la contradiction la plus vive : comment une armée de libération ira-elle ailleurs pour s’installer comme armée d’occupation, même sous le plus beau des principes ?

 

Non, aussi, parce que cela équivaut à donner à l’armée algérienne un rôle de sous-traitant pour puissances néocoloniales : la Libye « c’est eux », qu’il en assume la facture et le chaos, dira le spécialiste. L’armée algérienne, devenue un « régiment de Bagdad », cassera son mythe, brisera son aura et deviendra une armée de service. Indigne statut pour la Gloire de nos Pères.

 

Non aussi, parce qu’il s’agit d’un bourbier : le cas Libyen est un cas de laboratoire sans solutions tenables : pourquoi y aller s’enfoncer alors qu’il ne s’agit pas de notre problème ? Si l’ANP y va, elle en deviendra l’auteur et, un jour ou l’autre, en payera la facture et le crime qu’elle n’a pas commis.

 

Non aussi parce que cela brisera ce discret statut-quo militaire avec le voisin de l’ouest, le Maroc. Là, au-delà de la guerre froide diplomatique routinière, il s’agit aussi d’un modus d’équilibres entre forces depuis les guerres de sables : si l’Algérie intervient militairement au Maghreb, un tabou sera brisé et une machine sera lancée. Le consensus, même formelle, de l’UMA volera en éclats et une dynamique de recompositions des forces sera nécessaire, impliquant une bipolarisation sévère avec le Maroc à l’autre bout de la lunette.

 

Non, aussi, parce que cela va saigner l’ALN, ses moyens et ses ressources. L’assistance occidentale sera nécessaire et, de facto, l’interventionnisme occidental se retrouvera « normalisé ». Ce sera la voie pour la Pakistanisation de l’Algérie.

« Non » en fin, parce que cela cassera un équilibre politique interne : une armée rendue active signifie une promotion directes et automatiques d’une élites militaire jeunes et donc la fin de ce droit d’ainesse qui y prévaut et cet équilibre entre le « politique » et le « militaire » maintenu dans les formes. L’ANP en Libye signifie la fin de la période de « l’armée dans les casernes ».

 

Est-ce tout ? Non. La voix du « oui » a aussi ses raisons. L’Algérie ne se trouve sur une île mais dans un Maghreb déstabilisé, objet de l’effet dominos classique. Ce qui se passe en Tunisie et en Lybie, implique et impose l’intervention de l’Algérie. Sur mode frontal ou sur mode discret comme c’est déjà le cas avec l’entraide militaire algéro-tunisienne.

 

On ne peut pas, tout aussi, développer des formes de réaction militaire « nationale » face à un adversaire qui lui fonctionne sur le mode internationalisant : les djihadistes n’ont pas de frontières là où l’ANP en a. Désavantage pour la seconde.

 

Enfin, la pression occidentale est énorme et peut ouvrir déjà un second front : l’Algérie aura à faire face sur deux frontières et sur deux dossiers. Elle ne pourra pas négocier sa neutralité pour très longtemps et son « implication » sera obtenue au rabais par fragilisation de la stabilité interne.

 

Les raisons du « oui » sont aussi préventives : c’est la fameuse doctrine US de la sécurité préventive : j’attaque le mal à sa source avant qu’il ne m’atteigne tôt ou tard. Détruire les niches Djihadistes, stabiliser le « Frère » de l’est et garder la main sur un pan du Maghreb vaut mieux que de laisser le pays voisin ouvert aux autres, aux égyptiens et aux armées islamiques diverses. Un Afghanistan libyen aura une conséquence directe sur le cas Algérie.

 

Comment faire alors ? Y aller discrètement ? Y assister qui ? Y faire quoi ? La doctrine de neutralité algérienne est la bonne. Mais elle est démodée et intenable. Le Maghreb n’a pas été une grande union. Mais ses factures sont pour tous. L’Algérie surtout compris.

Et pour le moment rien n’est visible comme solution. C’est un piège, mais on n’a pas développé les moyens de l’éviter.

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